Logo ARIDES

Succulentes en péril ?

Par Joël Lodé, extrait de Cactus Aventures International n°12, octobre 1991.

Accueil | Congrès | Activités | Revue | Visites |Services | Membres | Adhérer | Articles | Liens | E-mail | Contact

La terre a toujours subi, depuis qu'elle existe, des modifications de son climat, des catastrophes naturelles, et dès que la vie est apparue, elle n'a pas arrêté d'évoluer, et évolue encore aujourd'hui sous nos yeux, de maniè;re imperceptible. Tous les mille ans en moyenne, une espèce végétale ou animale disparaissait de la surface de notre planète, et d'autres apparaissaient, grâce à l'évolution. Aujourd'hui une espèce végétale disparaît pratiquement chaque jour de la Terre, uniquement à cause de l'action de l'homme.

Nos amies les Succulentes ne sont pas à l'abri de ces bouleversements d'ordre planétaire, elles aussi doivent faire face à des agressions de toute nature : certaines espèces de Sclerocactus d'Arizona sont détruites par les larves d'une mouche qui pond ses oeufs dans la plante ; au Chili, certains Copiapoa sont ravagès par un champignon qui provoque une attaque bactérienne mortelle. Cela semble naturel, et dans l'ordre des choses : des espèces, voire des genres de Cactées disparaîtront parce que cela fait partie du cycle évolutif de la végétation terrestre.

Mais les causes humaines de destructions sont bien plus radicales et expéditives : cela commence par la destruction des habitats, par la déforestation. Il y a des espèces succulentes qui se sont adaptées aux feux naturels provoqués par la foudre (plantes caudiciformes). Mais les feux de brousses allumés par l'homme sans discernement, et répétés, brisent l'interdépendance des écosystèmes. Un exemple : les arbres qui disparaissent dans les incendies et ne sont pas remplacés par la nature entraînent la disparition d'autres espèces qui résistaient peut-être aux feux humains, mais ne peuvent plus croître sans un couvert végétal. Les fécondateurs exclusifs et leurs prédateurs disparaissent aussi, ou migrent vers un monde meilleur... La forêt amazonienne est en grand péril, mais la maigre caatinga, forêt sèche épineuse du Nordeste brésilien n'est pas mieux lotie, et elle est décimée par les feux humains, pour la culture sur brûlis, ou la création de pâturages pour le bétail.

L'HOMME : SON PIRE ENNEMI C'EST LUI-MEME !

[...]. Il n'y a pas que la déforestation ou les incendies criminels : le collectionneur a quelque responsabilité dans la disparition des espèces. Le très commun (localement) Tillandsia straminea pousse en impressionnantes colonies près de la côte Pacifique. Un collectionneur amateur de Tillandsia en récolte deux énormes sacs : en a t'il autant besoin pour sa collection ? Une bouture aurait largement suffit. Des prélèvements inconsidérés peuvent également faire peser un danger de déséquilibre et d'extinction de Succulentes qui semblent très nombreuses dans leur habitat, mais NE SONT PAS INEPUISABLES.

Pareil pour les animaux. Une île autrefois verdoyante, Guadalupe se trouve à proximité des côtes de Basse-Californie. Le premier scientifique à explorer l'île a été l'américain Edward Palmer (Echinocereus palmeri, c'est lui !), en 1875. A cette époque, déjà, Guadalupe est dévasté par des milliers de chèvres qui ont détruit le fragile équilibre végétal qui subsistait, ainsi qu'un extraordinaire endémisme. Un rapace, le Caracara jaune (Polyborus lutosus) ne vit que là. Palmer écrit qu'ils sont abondants. D'ailleurs, on les massacre, car ils dévorent... les chèvres ! En 1889, E. Palmer retourne sur l'île, et ne voit plus aucun Caracara jaune. Les derniers vont être capturés par les ornithologues collectionneurs. Le 1er décembre 1900, le collecteur R. Beck, qui travaille pour Lord Rothschild abat les onze derniers... C'est le début du 20e siècle...

Un drame identique a été vécu par Echinocereus lindsayi, virtuellement disparu de son milieu naturel en Basse-Californie, uniquement àà cause de collectionneurs "bien intentionnés", qui ont prélevé tous les individus qu'ils pouvaient trouver, pour les "sauver de la destruction" ! Pour protéger une espèce, il faut protéger le milieu dans lequel elle évolue : ne serait-ce pas plus logique ? ...

D'autres dangers guettent les Succulentes : le développement industriel et touristique, l'urbanisation. Sur l'île de Fuerteventura, aux Canaries, il existe une Euphorbe endémique rare, Euphorbia handiensis. Cette espèce est menacée à cause du tourisme : les terrains où elle vit encore sont peu à peu grignotés par les constructions immobilières. L'urbanisation excessive a failli entraîner la disparition totale de Gymnocalycium platense, dans la province de Buenos Aires en Argentine, et Aeonium tabuliforme me semble bien menacé, sur l'île de Tènèriffe, aux Canaries.

CACTUS CONTRE CHEVAL : HENNIT SOIT QUI MAL Y PENSE !

Aux Saintes, dans les Antilles françaises, ce sont les chèvres qui saccagent les dernières "Têtes à l'anglais", ou Melocactus intortus, tout comme au Brésil où leurs consoeurs piétinent les habitats à Melocactus et Discocactus. Au Nouveau-Mexique et en Arizona, aux USA, Sclerocactus whipplei est arraché par les troupeaux des Indiens Navajos : les bêtes se prennent les pattes dans l'imbroglio des aiguillons en hameçons. Au Texas, toutes les tétes d'Homalocephala texensis sont rassemblées et détruites en masse par le feu au bord des pâturages, et il est considéré comme l'ennemi principal du bétail et des chevaux qui se blessent aux aiguillons acérés et recourbés de ce superbe cactus. Le cactus est comme l'Indien : il est l'intrus dans son propre pays, et devient la victime du développement industriel et agricole, du remembrement, de l'introduction animale et végétale, etc...

Lui-même (Opuntia stricta) importé en Australie dans l'état du Queensland qu'il a conquis en une décennie, montre à quel point nous jouons à l'apprenti sorcier en introduisant des plantes ou des animaux. Cette invasion d'Opuntia s'est faite au détriment d'espèces endémiques rares, dont certaines ont disparu, à cause de l'homme ( et pas du cactus, ne renversons pas les rôles !). Les espèces qui ont une grande faculté d'adaptation sont rares et on ne citera que les Agaves qui bordent le pourtour méditerranéen, ainsi que les Opuntia qui se sont naturalisés dans la région de Lyon, ou dans le Valais suisse.

PRELEVEMENTS : NE PAS CONFONDRE COLLECTE ET VAMPIRISME

Il ne faut pas se leurrer, les prélèvements inconsidérés de Succulentes dans leur habitat pour les besoins de l'horticulture, de la pharmacie, de l'alimentation des hommes et des bêtes, de la collection, font payer un lourd tribut aux populations locales : certaines espèces faciles à reproduire en serre, et très communes en collections, comme Echinocactus grusonii du Mexique, ou Aloe variegata d'Afrique du Sud ont tellement été prélevées dans leurs habitats respectifs, qu'elles en ont presque virtuellement disparu. D'autres, beaucoup plus rares et plus difficiles en culture, sont en train de disparaître pour les mêmes raisons : Ariocarpus scapharostrus et Aztekium ritteri au Mexique pour ne citer que quelques exemples.

Celles qui sont également menacées sont les espèces qui vivent à l'état endémique sur une "petite superficie", d'accès "relativement aisé", et soumis à des climats extrêmement rigoureux : Welwitschia mirabilis en Namibie, Aloe polyphylla au Lesotho... Le danger est grand pour les sites à Uebelmannia, où chaque espèce n'occupe qu'une aire très restreinte, dans un seul site ou presque par espèce concernée.

CONCLUSION

La pression sur les Succulentes dans leur habitat naturel est tellement forte, et revêt tellement de formes, que l'on peut dire que certaines espèces sont réellement menacées; le danger venant de la collecte se dirige souvent vers les plus accessibles, les plus "transportables", et vivant dans des habitats limités. Je ne pense pas que Mammillaria dioica (très répandu dans toute la péninsule de Basse-Californie) ou Pachycereus pringlei (gigantesque) soient menacés, mais ce n'est pas le cas de nombreux autres, limités en nombres d'individus par espèce. Un prélèvement inconsidéré, même à des fins de conservation n'aurait pour résultat que de réduire les chances de reproduction in situ, et partant de là, menacer gravement l'équilibre du maintien de la population d'une espèce.

Dans un avenir plus que proche, il faudra aux collectionneurs beaucoup de retenue pour n'acheter que des plantes issues de propagation végétative ou séminale. Je prédis aux semis de graines de référence (avec codes de prospection indiqués sur les catalogues) un sucés croissant. Du moment qu'on sème ! ...

Texte : Joël Lodé
Extrait de Cactus Aventures N°12, octobre 1991
Tous droits réservés.

cai


Accueil | Congrès | Activités | Revue | Visites |Services | Membres | Adhérer | Articles | Liens | E-mail | Contact

http://www.arides.info/, © 1998-2006, A.R.I.D.E.S.